
Partage d'expériences : des formations accessibles aux personnes en situation de handicap
Alors que le numérique est en plein essor, « les métiers du numérique, pris au sens large, représentent à peine 2 % des orientations professionnelles de personnes handicapées.» comme nous l’explique l’école WebForce3. «Ces freins sont dus au manque de formations adaptées, aux aprioris et idées reçues des employeurs, mais aussi à l’autocensure des personnes handicapées elles-mêmes sur l’accessibilité, le niveau de compétences et de qualification, les prérequis, la culture métier, etc. »
Pour contrer ces freins et assurer une meilleure adaptabilité des formations au numérique, nous avons recueilli les conseils de deux organismes proposant des formations labellisées GEN accessibles aux personnes en situation de handicap, WebForce3 et l’Institut Marie Thérèse Solacroup. Compte tenu de la diversité des situations, des handicaps et des profils, il ne s’agit pas de solutions « clé en main » ni de recettes miracles mais de partage d’expériences qui pourront vous inspirer pour l'amélioration de l’accessibilité de vos formations.
Comme annoncé par le Secrétariat d'Etat chargé des personnes handicapées suite à l'organisation du Duo Day dans le cadre de la 24e édition de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH), l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap représentent des enjeux prioritaires pour le gouvernement. L'objectif de cette semaine est de faire évoluer les regards sur l'emploi et le handicap et de mettre en lumière les différents dispositifs mis en place pour faciliter l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap.
WebForce3 : des formations accessibles à tous
Particulièrement mobilisée sur le sujet du handicap, l’école WebForce3 a organisé en novembre dernier un webinaire sur le thème « Le numérique : un levier pour l'emploi des personnes en situation de handicap » qui s’est déroulé en présence de Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargée des Personnes Handicapées, et Cédric O, secrétaire d'État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques. L’occasion de revenir sur les parcours d’anciens apprenants et des témoignages d’entreprises partenaires de l’école. Vous pouvez retrouver le replay du webinaire ici.
Chaque année, WebForce3, qui propose plusieurs formations labellisées GEN, compte 15% de personnes en situation de handicap dans ses effectifs. Afin de favoriser leur réussite de formation et leur inclusion socio-professionnelle, l’école partage avec nous ses facteurs clés de succès :
Une politique handicap inclusive et renforcée
Au-delà de l’objectif d’intégration de personnes handicapées dans ses sessions de formation, WebForce3 travaille dans une logique spécifique, que ce soit d’un point de vue du rythme et de la modalité pédagogique (horaires, temps de repos, replay des cours, téléprésentiel…), de l’ergonomie de la salle de classe, du matériel informatique, de l’accessibilité des outils, de l’accompagnement, de la sensibilisation des ses équipes pédagogiques, de l’insertion professionnelle. Chaque école dispose d’un référent handicap formé et sensibilisé. Ceci a permis d’atteindre 90% de sorties positives vers l’emploi et 75% de CDI pour les sessions spécifiques.
Cette démarche favorise l’inclusion des handicapés dans des sessions mixtes et des sessions dédiées à un type de handicap (accidentés de la vie, autistes Asperger). En 2019, WebForce3 lui donne un nom : #Handi4Change, projet devenu lauréat du Google Impact Challenge en 2019.
L’anticipation en synergie avec l’apprenant et un écosystème d’experts
Pour obtenir un résultat positif, l’école travaille en partenariat avec des acteurs spécialisés dans une logique de mutualisation des expertises. C’est la fédération et l’engagement d’un ensemble d’acteurs publics et privés qui garantissent la réussite pour ces publics. Parmi eux : le plan d’investissement dans les compétences, Agefiph, Google.org, MDPH, les régions, Pôle Emploi, OPCO, Cap Emploi, les associations spécialisées, les psychologues, les entreprises adaptées…
Au moment du recrutement, l’école réfléchit en concertation avec le futur apprenant et la famille ou les accompagnants extérieurs aux freins périphériques potentiels et aux solutions/compensations pour accéder à la formation et au métier visé.
L’école travaille également en amont avec les formateurs pour les sensibiliser et déterminer avec eux quelles seront les caractéristiques des profils qui vont constituer la session. Peu importe le type de handicap, WebForce3 fait du sur-mesure pour chaque apprenant afin de permettre à tous de suivre la formation.
Un suivi personnalisé tout au long de la formation
L’équipe effectue un suivi régulier pour chacun de ses apprenants. L’école WebForce3 est accompagnée par des associations et des job coachs spécialisés pour l’accompagnement de vie et l’insertion professionnelle de certains publics (le cas des autistes Asperger). WebForce3 propose également des bilans intermédiaires avec l’ensemble des collaborateurs et parties prenantes du projet pour améliorer leurs pratiques et assurer un taux de réussite et de retour à l’emploi qui soit positif.
L’école se positionne dans une logique d’amélioration continue de ses pratiques. Il faut sans cesse innover et rechercher des solutions pour adapter au mieux la formation mais aussi la manière de passer les évaluations. C'est notamment le cas pour les personnes déficientes visuelles.
Redonner confiance à ces publics marginalisés
Parier pour le handicap, c’est parier pour tous. Quand on parle d’insertion professionnelle de personnes éloignées de l’emploi, il s’agit d’un enjeu crucial pour la société, et pas seulement pour la société numérique.
Au-delà des mesures de compensation de la formation, WebForce3 insiste sur la remobilisation de ces publics, qui peuvent avoir connu des expériences négatives et d’échecs dans leur parcours académique et professionnel. La formation doit aussi aider à regagner confiance en soi. La formation intègre du coaching, des activités sportives en groupe, l’attribution d’un parrain partageant le même handicap…
L’Institut Marie-Thérèse Solacroup : des formations pour les profils atypiques
L’Institut Marie-Thérèse Solacroup est une association loi 1901 qui a pour mission la formation et l’inclusion des jeunes vulnérables en priorité. Elle est née d’une fondation, suite à un diagnostic de terrain et au constat d’un manque de formations liées à la création de sites web à Saint-Malo.
Située à Dinard en Bretagne, l’association qui propose deux formations labellisées GEN, cible aussi bien les jeunes en décrochage scolaire et en réorientation sans atypisme que des profils atypiques. Ce terme désigne des personnes qui ont un trouble neurodéveloppemental, comme par exemple un trouble de la communication, un trouble des apprentissages, un trouble cognitif ou encore un trouble du spectre autistique. La force de ces formations réside dans cette mixité des publics qui apprennent autant les uns des autres.
La première promotion a permis de former 32 jeunes dont 12 avec un profil atypique, notamment autistique. Actuellement, la deuxième promotion suit son cours avec 35 jeunes, dont 80% ayant une RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé). Forts de ces deux promotions, Catherine Leguay, directrice de l’Institut, et Grégoire Jalenques, directeur adjoint, ont accepté de partager avec nous leurs retours d’expérience, mais insistent sur un point essentiel : il n’existe pas de solution « clé en main » tant le sujet est complexe.
Se remettre en question
Le premier point à garder en tête lorsque l’on accueille des profils atypiques, c’est d’être capable de s’adapter et de remettre en question les méthodes pédagogiques mises en place. Au sein de l’Institut Marie-Thérèse Solacroup, l’équipe pédagogique se retrouve régulièrement pour faire le point, dans une perpétuelle remise en question, car les actions mises en place la semaine précédente peuvent ne plus fonctionner.
« Nous étions partis au départ sur une méthode agile, axée sur la pédagogie par projet : c’est en faisant qu’on apprend. Mais cela a participé au développement d’un effet pernicieux car trop de latitude était laissée. » L’équipe s’est retrouvée face à un paradoxe car un cadre trop normé ne fonctionne pas non plus avec ces profils. Certains sont capables de travailler 10h d’affilée sans s’arrêter puis de ne rien faire le jour suivant. Il a donc été décidé d’adapter le fonctionnement des projets, en décortiquant les projets en plusieurs étapes et de laisser la liberté aux jeunes de travailler dans l’espace où ils se sentent le mieux avec la visite régulière d’un membre de l’équipe pédagogique afin de faire le point sur les objectifs.
Une autre pédagogie plébiscitée par de nombreuses formations est l’apprentissage en pair-à-pair. Si cette méthode favorise en règle générale les apprentissages, elle ne convient pas à tout le monde. Certains profils atypiques, qui parlent très peu ou pour qui le travail avec les autres nécessite toute leur énergie, se retrouvent en difficulté. Là encore, la remise en question et l’adaptation sont nécessaires. Une des solutions trouvées par la formation consistait à laisser l’apprenant travailler dans une pièce seul et faire des points réguliers sur le projet toutes les heures.
Etre à l'écoute
Catherine Leguay et Grégoire Jalenques insistent aussi sur le fait que derrière ces profils atypiques, il y a une personne avec ses spécificités cognitives, ses appétences, ses envies et des compétences qui se développent au fil de la formation. Certains ont besoin d’être encadrés, d’autres moins. Il ne suffit pas de lire une fiche profil pour y trouver la méthodologie à appliquer.
On ne peut ignorer le côté humain de la formation. L’écoute est primordiale. Elle permet de comprendre la personne, de l’emmener là où elle souhaite aller, avec ses spécificités, son mode de pensée et son mode de travail qui lui est propre.
Si sur les méthodes pédagogiques proprement dites, il n’y a pas de formule clé en main sur ces profils atypiques, c’est avant tout l’écoute et l’adaptation au rythme de chacun qui vont permettre à la formation de remplir son rôle d’accompagnement dans l’apprentissage et sa mission d’inclusion.
Créer du lien
L’Institut Marie-Thérèse Solacroup préfère s’appuyer sur des personnes qui sont elles-mêmes atypiques, car ce sont elles qui savent le mieux en parler. La formation, c’est également de l’accompagnement personnel, qui favorisera les apprentissages. Le lien qui se crée entre les tuteurs et les apprenants est très important.
Le centre de formation travaille notamment avec deux associations, Autiste Emeraude et Ouvrons la Bulle, et bénéficie également de l’accompagnement d’un psychologue qui utilise une approche non binaire basée sur la sophrologie et la musique.
Catherine Leguay et Grégoire Jalenques soulignent que ce n’est pas parce qu’on a les bons principes que cela va marcher. Les relations personnelles sont essentielles et passent avant les mécanismes et les procédures. Pour qu’il y ait de la motivation, de l’attention, il faut un cadre de travail dans lequel la personne se sente bien ; pour cela, rien de mieux que des relations qui créent du lien et portent l’apprenant.
Favoriser l'insertion professionnelle
Seulement 1% des profils atypiques seraient dans un emploi durable. L’insertion professionnelle est essentielle et fait pleinement partie de la formation. L’Institut Marie-Thérèse Solacroup s’est, là-aussi, remis en question et a adapté son planning. La période d’immersion professionnelle de 12 semaines se découpait initialement en 3 périodes de stage, mais le fait de changer d’entreprise et donc d’habitudes consommait toute l’énergie de certains apprenants. Le stage se déroule désormais sur une seule période, avec une seule entreprise, ce qui permet une meilleure appropriation des missions et du lieu.
Cependant, tout le monde n’est pas capable de travailler en entreprise. Outre le fait de se retrouver à travailler avec des personnes qu’ils ne connaissent pas, ce qui peut constituer un frein, certains codes sociaux sont compliqués à intégrer pour des jeunes qui ont un mode de fonctionnement particulier.
Après réflexion, l’Institut Marie Thérèse Solacroup a décidé là aussi d'adapter son organisation pour les profils pour qui le stage classique n’était pas adapté, avec ce qu’ils ont appelé le « téléstage ». Les jeunes travaillent au centre de formation sur des missions données par des entreprises, telles que la création d’un site web.
Dans un objectif de pérennisation et d’insertion sur le marché du travail, il est important de réfléchir à l’après-formation et de ne pas s’arrêter au premier contrat trouvé à la suite de la formation, car le risque est de retrouver le jeune un an plus tard à la recherche d’une nouvelle formation, dans un cercle vicieux.
C’est pourquoi l’association a décidé de créer un espace de télétravail pour ces jeunes aux profils atypiques d’ici avril 2021. Cette structure permettra d’accueillir tous ces jeunes qui ne peuvent pas travailler en milieu professionnel tout de suite. Ils seront salariés et réaliseront des missions numériques pour des entreprises du territoire. Un collecteur d’offres sera chargé de trouver ces missions. La structure a pour objectif d’accompagner les jeunes et de les aider à se familiariser avec le monde de l’entreprise. L’association estime qu’au bout de 3 à 4 ans, une durée évidemment variable selon les profils, les jeunes se seront familiarisés avec les codes du monde professionnel et pourront travailler au cœur d’une entreprise.
L’Institut Marie-Thérèse Solacroup est porté par des personnes engagées et passionnées. « Nous mettons tout en place pour aller jusqu’à l’inclusion professionnelle, même si cela requiert du temps. Nous y allons par étape. » Catherine Leguay et Grégoire Jalenques ajoutent qu’il est primordial d’avoir une équipe pédagogique soudée, capable de se remettre en question. Et de conclure, « On a cette spécificité d’accompagnement. Ce ne sont pas des méthodes miracles, il s’agit avant tout d’écouter le jeune et respecter ses capacités cognitives. Il faut être en capacité d’adapter le programme, son rythme, ce qui n’est pas forcément à la portée de tous les centres de formation. »

Pour aller plus loin
Vous souhaitez en savoir plus ? Approfondir le sujet ? Retrouvez la liste des ressources utiles et des acteurs vers lesquels vous pouvez vous tourner.
- Le site du Secrétariat d'Etat chargé des personnes handicapées
- L'AGEFIPH
- Fiphfp (Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique)
- L'ADAPT
- Retour sur le partenariat WebForce3 Lille et Compethance pour une session dédiée à des grands accidentés de la vie : Regarder le replay
- Conférence Google Ateliers Numérique « Comment rendre les métiers techniques accessibles aux personnes handicapées ? » Assister au replay de la conférence
- Découvrir Handi4Change et la vidéo de présentation
- Les formations de l'Institut Marie Thérèse Solacroup