
Intelligence Artificielle : quels sont les besoins en compétences ?
Fin 2019, France compétences publiait la liste des 17 métiers émergents ou en forte évolution. Parmi les heureux élus, trois métiers se rattachent directement au domaine de l’intelligence artificielle : Développeur intelligence artificielle, Ingénieur intelligence artificielle et Chef de projet intelligence artificielle.1 Une autre étude publiée par LinkedIn au même moment va aussi dans ce sens : les ingénieurs en intelligence artificielle sont particulièrement recherchés par les entreprises sur le réseau social professionnel et se classent en 2ème position des 15 métiers qui ont connu la croissance la plus importante. Ces postes dans l’intelligence artificielle et le machine learning, aux intitulés souvent divers, ont été multipliés par 16 au cours des quatre dernières années.2
Si l’image de l’IA est encore ambivalente pour les Français (près d’une personne sur deux pense que l’IA représente à la fois un atout et une menace3), les entreprises semblent, quant à elles, bien décidées à s’approprier cette nouvelle technologie et les opportunités qui vont avec. Le secteur est en plein essor : d’après le rapport publié par l’Opco Atlas "Etude Formations et compétences sur l’intelligence artificielle en France", plus de 7 500 spécialistes supplémentaires de l’IA et de la Data Science pourraient ainsi être recherchés par la branche sur la période 2019 - 2023 (soit une hausse de +59% par rapport à 2018)4
Or, le manque de profils spécialisés en IA peut entraver la compétitivité des entreprises. Une étude récente conduite par Morning Consult pour IBM5 interrogeait les entreprises sur les principaux obstacles les empêchant de bénéficier des avantages de l'IA : 37% citent une expertise ou des connaissances limitées en matière d'IA comme obstacle à l'adoption réussie de l'IA dans leur entreprise.
En partant de ce constat, on peut se demander quels sont les besoins en compétences dans le domaine de l’intelligence artificielle, et qu’en est-il de l’offre de formation ?
Sommaire :
Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
Les enjeux de l’IA
Les besoins en compétences dans l’IA
Focus sur les opportunités pour les formations
A retenir
Qu'est-ce que l'intelligence artificielle ?
Le lexique de l'intelligence artificielle
- L'intelligence artificielle (IA ou AI en anglais) peut être définie comme la « simulation de processus cognitifs dans le but de permettre à une machine de reproduire ou d’exécuter des fonctions normalement associées à l’intelligence humaine » (selon la définition de l’OPIIEC). Dans son rapport IA for Humanity, Cédric Villani allait plus loin « Si l’ambition initiale de l’intelligence artificielle était d'imiter les processus cognitifs de l'être humain, ses objectifs actuels visent plutôt à mettre au point des automates qui résolvent certains problèmes bien mieux que les humains, par tous les moyens disponibles. »
- Data Science (ou science de la donnée) : il s’agit de la collecte, de l’organisation et de l’analyse d’un ensemble de données visant à aider des entreprises à acquérir des connaissances, un enseignement.
- Machine Learning (ou apprentissage automatique) : il s’agit du processus qui permet aux machines d’apprendre à modéliser les processus cognitifs à partir de l’analyse d’expériences passées. Grâce aux algorithmes, la machine est capable de produire des modèles prédictifs de manière autonome.
- Deep Learning : (ou apprentissage profond) : il s’agit d’un domaine particulier du machine learning. Construits à partir d’éléments de base (les neurones), ces algorithmes très efficaces permettent à la machine de reconnaître par elle-même des éléments complexes (son, vidéo, image) : elle identifie par exemple des visages sur des photos.
- NPL (Natural Language Processing ou Traitement du Langage Naturel) : il s’agit des techniques qui permettent de traiter automatiquement les propos écrits et oraux d’un individu (l’analyse du langage par exemple).
Les enjeux de l'IA
Nous avons interrogé Victor Azria, responsable de l’offre Data Science & Analytics pour Capgemini France et expert sur le sujet de l’intelligence artificielle. Capgemini est membre de la gouvernance de la Grande Ecole du Numérique.
« Pour Capgemini, l’un des enjeux de l’IA aujourd’hui est de déterminer comment arriver à transformer le secteur public et privé en tenant compte que la data est au centre de la transformation digitale des entreprises. »
Depuis 2013/2014, les entreprises se tournent toutes vers l’IA. « L’objectif pour nous est de créer de la valeur pour nos clients grâce à l’IA. Dans le secteur public, on vise plutôt l’accompagnement du citoyen, notamment dans les domaines de la santé et l’éducation. Un des grands enjeux est de déterminer comment opérer le passage à l’échelle de cette solution : comment passer à une logique industrielle ? »
Or, ce passage à l’échelle semble difficile à opérer comme le remarque Victor Azria : « on fait face à des freins organisationnels, que l’on rencontre très souvent chez les clients ; des freins culturels, avec des peurs liées au développement de l’IA, pour certains l’IA est synonyme de chômage; et des questions liées à l’éthique, qui sont très importantes en Europe. » Et il y a bien sûr la question des compétences. « Assez peu de personnes sont suffisamment armées pour aller chez les clients. »
Les besoins en compétences dans l'IA
De forts besoins de développeurs IA et de spécialistes de la donnée
D’après l’étude de l’Opco Atlas, les entreprises pourraient avoir de plus en plus besoin de développeurs IA dans les années à venir et le phénomène devrait s’accélérer à partir de 2021. En effet, le nombre de développeurs IA travaillant dans la branche professionnelle devrait passer de 1600 en 2019 à 3500 en 2023.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette tendance : tout d’abord la forte croissance des bibliothèques logicielles démocratise le développement d’algorithmes et d’applications IA. Les opérations de modélisation sont simplifiées tout comme la manipulation du code. De plus, l’Opco Atlas estime dans son étude que l’attractivité du métier reste encore faible ce qui provoque de fortes tensions sur les recrutements car les entreprises peinent à trouver des profils.
Plutôt que de créer des technologies propres générant de la modélisation algorithmique, les développeurs devraient plutôt être amenés à adapter les technologies existantes dans les années à venir.
Chez Capgemini, les besoins se situent notamment dans le champ de compétence des spécialistes de la donnée. « Nous avons besoin d’architectes de la donnée, qui vont comprendre comment l’articuler et construire les modèles de données au sein de notre environnement. Ce sont ces données qui vont permettre d’alimenter l’IA ou plusieurs IA. » explique Victor Azria. Les profils très prisés sont également les data engineers et data scientists. Le data engineer, travaille plutôt sur la technologie que sur l’algorithmie, il s’assure qu’il y a une continuité tout au long de la mise en production et gère des flux de données en temps réel. Le data scientist paramètre les algorithmes et son rôle est de déterminer comment transformer la donnée pour la rendre intelligente.
Technologies de l’Intelligence Artificielle : le langage Python plébiscité
Le paysage des technologies est dominé par le machine learning et le deep learning comme le montre le baromètre des start-ups d’intelligence artificielle réalisé par Capgemini Invent et eCAP PARTNER en 2019.

Source Photo : Actu IA - Capgemini Invent et eCAP PARTNER
D’après l’étude de l’Opco Atlas, le langage Python reste le langage de prédilection pour le développement de l’IA en raison de ses nombreuses bibliothèques et de la simplicité de sa syntaxe qui s’adapte bien au machine learning. Ainsi, on ressent un fort besoin de formation au langage Python, qui est bien adapté à la plupart des environnements de développement. TensorFlow est quant à lui l’environnement de programmation le plus utilisé.
Chez Capgemini, les technologies utilisées liées au Big Data et à l’industrialisation de l’IA sont notamment :
- Framework Hadoop qui est encore très utilisé sur les plateformes « on premise »
- Solutions Cloud
- Pour l’industrialisation et le déploiement, les outils de conteneurisation tels que Docker et Kubernetes sont très largement utilisées
- Pour le développement d’algorithmes d’IA, le langage Python est très largement répandu grâce à sa communauté open source et les librairies et frameworks de Machine Learning et Deep Learning
- Pour le temps réel/Streaming, Kafka est, entre autres, utilisé
Soft skills
Chez Capgemini, les consultants sont amenés à travailler avec différentes directions : la direction métier et la direction informatique. D’après Victor Azria, il faut savoir simplifier et vulgariser son activité. « Dans le domaine de l’intelligence artificielle, il faut être capable de simplifier les choses. Il y a un réel besoin de vulgarisation et de simplification. » La curiosité est aussi une compétence essentielle. « C’est important de connaitre les différents domaines métiers : santé, automobile, aéronautique etc. Il faut être curieux car on peut être amenés à travailler sur plusieurs domaines. Les technologies évoluent constamment, il faut aussi savoir se mettre à jour. »
Besoin de profils pluridisciplinaires
L’étude de l’Opco Atlas met également en avant le besoin de profils pluridisciplinaires pour la branche. Les entreprises ont besoin de professionnels capables d’avoir une connaissance des métiers clients, une capacité de conseil et une connaissance multi-technologies. Les recruteurs sont en effet souvent demandeurs d’une double compétence notamment pour les profils de data scientists et de chef de projet data : data et propriété intellectuelle, data et éthique, droit numérique. Quant aux data analysts et data miner, ils sont particulièrement recherchés dans les fonctions marketing et CRM.
Les besoins dans l’IA ne sont donc pas seulement technologiques et touchent aussi d’autres disciplines : management, juridique, éthique.
Focus sur le collectif Impact AI
La question de l’éthique en matière d’IA se pose de plus en plus, d’autant plus que les français questionnent l’impact de l’IA en matière de confiance. Ainsi, les Français les plus inquiets face à l’Intelligence Artificielle placent les risques en matière de vie privée et de protection des données en tête de leurs préoccupations (38% soit +10 points en un an).3
Le collectif Impact AI est une association constituée d’acteurs de l’intelligence artificielle ayant pour ambition d'éclairer les enjeux éthiques et sociétaux de l’IA et soutenir des projets innovants et positifs pour le monde de demain.
La Grande Ecole du Numérique fait partie des membres de Think & Do Tank et s'implique notamment sur le projet « Education : Initier, orienter et préparer les Français aux compétences IA de demain ». Ce projet vise à sensibiliser et former les jeunes et les professionnels aux technologies de l’intelligence artificielle, en rendant accessibles les formations à l’IA. Dans le cadre de ce projet, un moteur de recherche qui recense les formations en France et à l’étranger dans le domaine de l’intelligence artificielle a été développé : http://www.impact-ai.fr/formations-ia/
Vous proposez une formation à l’intelligence artificielle et souhaitez être référencé dans le moteur de recherche? Vous pouvez contacter directement le collectif Impact AI : impactai@outlook.com
Le collectif a également mis en ligne une « Boîte à Outils » qui propose une bibliothèque d’outils pour faire de l’IA responsable : http://www.impact-ai.fr/ia-responsable/
Focus sur les opportunités pour les formations
Des niveaux de diplômes élevés amenés à évoluer pour s’adapter davantage aux besoins des entreprises
D’après l’étude de l’Opco Atlas, l’offre de formation en France se situe actuellement à un niveau d’expertise, qui correspond bien aux besoins actuels de Recherche et Développement et de stratégie en matière l’IA, mais ces besoins pourraient évoluer à la baisse dans les années à venir avec l’industrialisation de l’IA. Si on compare la situation de la France par rapport aux autres pays, l’écart est édifiant : 91% des professionnels français de l’IA sont de niveau Master ou Doctorat, alors que la moyenne mondiale se situe à 59%.
Les entreprises interviewées par l’Opco Atlas dans le cadre du rapport semblent avoir du mal à identifier des niveaux intermédiaires de compétences (notamment en matière d’intégration et développement d’applicatifs), ce qui peut expliquer cette logique maximaliste du diplôme propre à la France, en attendant d’affiner les besoins de niveaux intermédiaires.
Il semble qu’un équilibre des besoins soit nécessaire car cette structure des niveaux de diplômes pourrait à terme accentuer les tensions sur le marché de l’emploi. En effet, la question peut se poser quant au niveau d’expertise réellement nécessaire à l’intégration de technologies existantes, par rapport au niveau d’expertise des jeunes diplômés.
Des métiers d’avenir pour les apprenants de la GEN
L’intégrateur IA : un profil pluridisciplinaire
D’après l’étude de l’Opco Atlas, les compétences requises pour un intégrateur IA se situent à un niveau d’expertise IA moins élevé au profit d’une pluridisciplinarité. Les formations professionnelles plutôt courtes semblent donc les plus adaptées aux intégrateurs IA avec des niveaux de diplôme moins élevés.
Le développeur IA : au service de l’industrialisation de l’IA
Les demandes de développeur IA sont amenées à évoluer à la hausse avec l’importance de développer en priorité les compétences d’intégration de technologies existantes, plus que de l’expertise algorithmique. Les besoins de compétences en développement d’applications de l’IA industrialisés devraient s’accroître dans les années à venir, or le tissu de formation est encore dominé par une expertise en conception.
Quelles opportunités pour les formations ?
« Si on a déjà une expérience en tant que développeur, la montée en compétences sera moins brusque et plus simple puisqu’on connait déjà les technologies. » fait remarquer Victor Azria. Pour des profils qui n’auraient jamais fait de développement, il conseille plutôt des formations plus longues. En partenariat avec Simplon et Microsoft, Capgemini a d’ailleurs mis en place une formation à l’IA de 8 mois avec une première promo de 30 personnes en reconversion professionnelle.
« On remarque une très forte appétence vers la data science, la connaissance des algorithmes, qui ne représentent qu’une petite partie de l’IA. On parle assez peu de l’ingénierie de la donnée, de la gestion des flux de données et de la maintenance des algorithmes. » note Victor Azria. « Les formations ne devraient pas s’orienter uniquement vers l’algorithmie, mais plutôt sur la façon dont on construit un projet d’IA. »
Outre l’ingénierie de projet, d’autres sujets transverses ont aussi leur importance. « Il faudrait une appétence pour les questions business, les questions éthiques et le stockage de la donnée qui ne sont pas forcément vus dans les cursus de formation plus classiques. »
Victor Azria conseille aussi de s’appuyer sur l’offre de MOOC assez conséquente et intéressante sur le sujet. « Si on veut être performant, l’objectif n’est pas de connaitre l’intégralité du domaine de l’intelligence artificielle mais plutôt de rester à jour sur les dernières évolutions en matière d’algorithmes, de technologies, d’architecture. »
Sources :
1 Centre Inffo : Liste des 17 métiers émergents ou en forte évolution
2 LinkedIn : France 2020, les métiers les plus recherchés
3Impact AI : Observatoire de la Notoriété et de l’Image de l’Intelligence Artificielle en France
4OpcoAtlas : Etude formation et compétences sur l'Intelligence Artificielle en France

A retenir
Pour lancer sa formation dans le vaste domaine qu’est l’IA, il semble essentiel de :
- Adosser les formations à un écosystème (entreprise, recherche) pour mettre à jour les contenus de formation, qui évoluent très vite
- S’assurer de l’adéquation entre le niveau de qualification de la formation et les besoins réels des entreprises
- Veiller à la pluridisciplinarité : ingénierie de projet, éthique, droit, management
- Rendre plus lisible l’offre de formation en travaillant notamment sur la sémantique
À l’issue de son appel à contributions, qui a mis en avant les métiers de Chef de projet intelligence artificielle, Ingénieur intelligence artificielle et Développeur intelligence artificielle, France compétences a indiqué que les certificateurs formant à ces 17 métiers « pourront ainsi bénéficier d’une procédure simplifiée d’enregistrement au RNCP (répertoire national des certifications professionnelles) ». Une bonne raison de plus pour les formations de se lancer dans la voie de l’intelligence artificielle.